Vivre à Metz … en 1907

 

1.__sous_le_titre.jpg Collection particulière

Cette rare photo m'est envoyée par une lectrice. On y voit, devant "l’ancienne gare", un millier de Messins collé comme un essaim d'abeilles au bout d’un terrain vague encombré de chantiers.
 Au fond du document, à gauche, on reconnaît le bâtiment "sortie" du côté sud de la gare de Metz actuelle et plus à droite,  l’ancien Centre de tri du boulevard Lafayette.
Nous sommes le 6 août 1907… Impossible de se tromper. Au milieu des pavés, le photographe en laisse la preuve, de cette encre noire et possessive que laisse le maquignon à la croupe de ses bestiaux. Sauf qu’on n’est pas à la foire, mais au premier jour d’un Congrès eucharistique!
Pourquoi pas? se disent ce matin-là les Messins en ouvrant leurs volets… Un peu de religion ne fait de mal à personne... Voici déjà trente-sept ans que le soleil se lève sur une Moselle allemande, et les annexés ont bien dû s’y faire. Devenus minoritaires chez eux, ils se taisent. Ce qu’ils pensent depuis 1871, le Prussien le subodore mais  les gestes d'humeur sont devenus rares. La mémoire d'avant 1914, depuis longtemps  pleine de bleus, se ferme comme une huitre en société.
Notre photographe s’appelle Franz Idzior. C’est un gaillard de 24 ans, né dans un coin de l’infortunée Pologne, alors rebaptisé Prusse orientale. S’il est devenu messin, c’est qu’il a profité de ses vacances obligatoires, entendez deux années de marche au pas, nourri couché blanchi dans une caserne du Ier régiment d’infanterie, pour découvrir sa ville de garnison par tous les bouts, comme on attaque son petit beurre par les quatre coins.
Très apprécié des militaires, dont il n’a cessé de ressusciter la moustache dans un bac d’hyposulfate, il connaît les conscrits sous toutes les coutures, ce qui lui est d'autant plus facile qu'ils ont toujours le petit doigt sur le pantalon.


2._une_messe_pontificale_cathedrale.jpg

L'ambiance est lourde en ville. Une messe pontificale sera célébrée quatre jours plus tard à la Cathédrale (Collection J.C Berrar).

Le matin du 6 août, Franz ne cesse de balader son trépied autour de "l’ancienne gare". Les plans nous montrent qu’à l’époque, elle dominait un décor en friche. Aucun immeuble ou presque n’était construit dans ce secteur (aujourd'hui l'avenue Schuman, la place Foch et la rue Gambetta).
Mais que voit-il sous son voile noir, notre Franz des manifs paisibles? une foule dolente qui se presse avant à la revue? le instantané moëlleux d’un été? L'enterrement de quelque notable? Que sait-il, notre Izdior, de ce que les gens ont dans la tête?
Il n’est pas, en effet, le maître de sa photo. Le document est fort, mais déjà ne lui appartient plus. Plus tard, retrouvé jauni à l'étal d'un brocanteur, il deviendra la carte postale d'un autre monde. Il emprisonnera des émotions, des représentations ou des idées, certes encore figées dans un geste ou un visage, mais qui deviendront claires en les déchiffrant à la loupe.
Que montrait la photo du 6 août 1907? Rien d’autre qu'un regard banal sur un Congrès dont le propos voulait approfondir l’eucharistie, en enjoignant à tous les catholiques de pratiquer la communion quotidienne.
Que nous dit le document, un bon siècle plus tard, alors que nous savons ce qui s’est passé en 1914? Elle nous enseigne qu’en 1907, il était plus facile aux Messins de communier avec le Ciel qu’avec leur voisin de palier.