Dès que Balladur eût souhaité revoir à la baisse le nombre de nos Régions, la matière grise locale se mit à tourner à plein régime dans les bureaux d’études.
Quand on y repense... Du jour au lendemain, des maniaques du pointillé affûtent leurs ordinateurs pour redessiner l’Est de la France. Certains se prennent à rêver de nous replâtrer une "Alsace-Lorraine". Au début, tout le monde pense qu’il s’agissait d’une blague mais avec les décideurs, il faut se méfier…
Nos maniaques ont oublié le conseil que leur avait donné Roger Brunet, un très éminent géographe: "Nous n’avons pas à découper l’espace, il se découpe tout seul."
"Le plus drôle, dans cette fièvre, c’est que le concept "Alsace-Lorraine" est un mot creux. Il se veut l'icône historique d'un territoire qui n’a jamais existé! Prononcé mille fois dans les discours, il n'est pourtant qu'une entité sans consistance, barbe à papa vaporeuse tournicotée dans la cervelle de Bismark et prose revancharde de Barrès. Si, pour nommer les territoires annexés à l’époque, ces deux Messieurs étaient convenus de parler d’Alsace-Moselle, au lieu de dire n’importe quoi, on n’en serait pas là aujourd’hui.
Chaque fois que, depuis cent quarante ans, un orateur fait encore allusion à l’Alsace-Lorraine, il trempaille sa mémoire dans la choucroute et fait sourire les "Alsaciens-Lorrains". Qu’il aille donc demander aux trois autres départements l’idée qu’ils se font d’une Alsace-Meurthe-et-Moselle, d’une Alsace-Meuse ou d’une Alsace-Vosges... La démarche est risquée.
Va pour Grand Est. On verra bien. Seuls, les Mosellans ne s’affolent pas. Les cousins du col de Saverne, ils connaissent... Ils envient leur côté bon vivant et leur tempérament rouspéteur. Ils les voient comme des gens un peu sanguins mais très fréquentables. Une lointaine compassion renaît chaque fois dans leur coeur au souvenir des souffrances communes. Mais à condition que la grande sœur ne soit pas trop envahissante.
Tout Mosellan normalement constitué sait en effet que depuis 1871, la famille d’à côté à tendance à le chaperonner, comme on aide le petit du voisin à faire ses devoirs.. C’est pourquoi nous suggérons aux redécoupeurs de méditer la photo qui meuble cet article… Un charmant tableautin plutôt, disons deux poupées Barbie de la Belle époque dont le message subliminal ne pourra leur échapper:
Il se trouve en vitrine au très beau musée des faïenciers de Sarreguemines, au rayon des services de table. Approchons nous et regardons nos demoiselles... Celle de droite, ça crève les yeux, paraît bien sûre d'elle... Alors que le regard noyé de la cadette nous cache un mystère. Sous la moue trop soumise, une pensée doit s'agiter. Il nous faut donc franchir le miroir, aller plus loin dans ce visage… scruter sa vérité.
Et soudain, sous les mains jointes de la Sainte Nitouche, l'on sent la vibration d'une colère, comme un agacement de chiens de faïence. Une santé complexée jaillit enfin au bord des lèvres. Encore un quart de seconde et l'enrubannée l’aura bien cherché.
"Lâche-moi les sabots!" (qui pourrait se traduire en Platt par: "loss mich gehn... mét meinen Klumpen!"). Notre Mosellane, si reservée d'habitude, est décidément très habile, puisqu’elle peut, sans en faire un plat, nous confier son ras le bol au fond d’une assiette.