Photo Karim Siari
Et puis quoi encore? Que vient faire, pensez vous, l’immortel auteur de la "Colline inspirée" dans cette histoire invraisemblable? Je n’y avais pas pensé tout de suite. Et puis je me suis souvenu d'un mot de Malraux dans ses "Antimémoires". Il écrivait qu’il aimait les musées farfelus car ils jouent avec l’éternité. Certes, la starkerie messine me semblait en effet trop voyante pour l’habiller de surnaturel. Un bretzel des années 1900, monté sur une armoire des années 2010, c’était moins de l’art que du bourrichon.
Même à l'époque, au coeur de la première annexion, la maison Salomon avait fait ricaner les élites prussiennes. Des architectes venus de toute l’Europe détestaient ce manoir, tant il semblait à contre-courant de leur projet de Nouvelle Ville. Ils voyaient suinter dans ses colombages des nostalgies de hobereau. Quant aux Lorrains allergiques à la teutonisation, ils évitaient l’avenue Foch.... A leurs yeux, il ne manquait au balcon du 22 qu’un gros coucou pour donner l’heure.
J’aurais donc juré que la poésie chêvre-chou de ce chalet tralala itou, nichée à cinquante mètres sur un hôtel de cinq étoiles, allait forcément indisposer le dernier carré des vrais Messins de chez Messin, ceux qui ne confondront jamais la ville médiévale avec la lorraine, la lorraine avec la française et surtout la française avec l’impériale. Mais que croyez vous qu’il arriva? Ce fut l’illusion qui creva.
Depuis, je me suis senti redevenir Français de l’intérieur, incapable de nager dans les profondeurs de la mémoire messine… Pour sûr, ce Stark avait un scaphandre… Qu’avait-il donc ressenti le jour où, musardant pedibus dans notre ville qu’il trouvait belle, il était tombé en arrêt devant la maison Salomon? Avait-il flairé que la suffisance campagnarde de la villa incarnait, au second degré toutes les contradictions de la cité? Ou bien, le terrorisme primesautier de Stark lui avait-il seulement suggéré, rien que pour rigoler, de faire péter sa bombinette à deux pas de la maison Pompidou. Comme à Verdun, sans penser à mal, on fait encore exploser des obus en chocolat?
Que savait-on de lui après tout? Les grands créateurs sont des enfants espiègles dont il faut se méfier. Quand ils gardent trop les mains dans les poches, c’est qu’une folie a germé dans leur tête. Certes il se pouvait que le sens de l’humour ait seul donné à notre provocateur l’idée de nous faire une bonne blague, mais je n’en étais pas certain. Malin comme il était, Stark devait savoir qu’à Metz comme ailleurs, il ne faut pas trop parler de corde dans la maison du pendu…
Alors, j’ai fait une enquête de moralité… Car des Stark, on en trouve partout. Le nôtre, dénommé Philippe est né en 1949 à Paris. Impossible de le confondre avec l’Aristarque né à Samos en 310 avant Jésus-Christ. Ce dernier (pas Jésus-Christ, bien sûr mais Ari) était un mathématicien grec qui passa l’essentiel de sa vie à calculer la distance de la terre à la lune...
Rien à voir donc avec Philippe qui, mis à part le fil à couper le beurre, déjà inscrit au Guiness dès le début du néolithique, n’a cessé d’inventer, en les remodelant avec talent, des centaines objets dont le galbe familier aurait fini par nous faire oublier la laideur.
Il jouit même d’une excellente image en Moselle depuis qu’il a doté le parvis de la Gare de Metz de lampadaires à tête chercheuse, ce qui facilite au crépuscule la vie des voyageurs en retard dont la valise trop bourrée peut éclater sur les pavés. Vous conviendrez qu'un homme aussi désinteressé ne peut être foncièrement mauvais.
En outre, il détonne par la légèreté de ses épures dans un milieu de petits génies qui font dans le lourd. Le moins qu’on puisse dire de leurs snoberies compliquées, c’est qu’elles sont fâchées avec le fil à plomb: une Maison tordue à Sopot, en Pologne ou bien à Newark dans l’Ohio, le siège social de la Longaberger en forme de panier, ou encore, en Australie, l’ananas géant de Nambour… Je laisse de côté, pour ne vexer personne à Barcelone, la choucroute mollement gothique de la Sagrada Familia.. Toutes ces laideurs prétentieuses rendent en comparaison à notre Facteur Cheval une sincérité qu’autour de son Palais de rocaille, le chant des cigales ennoblit.
Je suis donc allé revoir de plus près cette sacrée maison Salomon et cette fois, je l’ai trouvée belle dans sa laideur. Quand on regarde aujourd’hui le côté rue Chatillon de l’avenue Foch, celui des villas cossues construites par les Allemands, on peut certes trouver l’une ou l’autre un peu mastoc, mais quand on englobe toute l’avenue dans sa largeur, la perspective des deux lignes de façades en parallèle est magnifique! A moins bien sûr d’avoir les yeux d’un bouffeur de boche, version Abonné du "Lorrain" en 1919.
Nous savons que nos goûts sont calibrés par nos préjugés. Chacun de nos regards peut être différent de celui de la veille, car c’est le fond de l’oeil qui fait le travail durant la nuit. Allez savoir pourquoi, dans cette affaire Salomon, ce qui me dérangeait au début de la semaine ne me troublait plus le samedi suivant… Quel était donc le déclic à partir duquel j’avais trouvé beau ce qu’auparavant je trouvais laid? Qui m'avait fait retourner ma veste?
Bon sang, mais c’était bien sûr! Maurice Barrès, forcément! Pour être franc, il ne l'avait pas fait exprès. Mais tout devenait clair. Ce qui soudain m’avait rempli de joie, c’était d’imaginer la tête de notre immense écrivain en ouvrant son "Républicain Lorrain"… Je crois savoir en effet qu’ils continuent les services gratuits au Paradis.
Je le revis, plus élégant que jamais. Il n'avait pas beaucoup changé avec sa mèche couleur corbeau bien plaquée sur le front. Son auguste séant lové au creux d’un petit nuage, il découvrait soudain la photo du projet Stark. Elle le narguait comme un vieux reste de Pumpernickel jeté du trottoir sur le balcon des Baudoche.
Il était vert, je le jure, mais pas comme un petit pois de l’année. Plutôt le vert du toit de la gare qu’il comparaît si finement à une purée d’épinards. A mon avis, il ne s'en remettra pas.
Pour mettre aussi poétiquement les pieds dans le plat, où les saveurs compliquées de 48 années d’annexion avaient fini par tiédir, Stark est décidément très doué. A moins qu'il l'ait fait exprès, le bougre! Grâce à lui, en tout cas, la maison Salomon sera bientôt notre Tour Eiffel. Il y aura du monde pour la prendre en photo et à cette occasion, des touristes plus curieux que les autres en profiteront pour se renseigner. Ils apprendront que les trois-quarts des familles messines ont un cousinage en Moselle-Est… Tiens tiens?
Quoi qu’il en soit, Barrès ne l’a pas volé car sa plume cocardière, outre qu’elle a crétinisé toute une époque en faisant de la guerre un moment béni des dieux, aura prolongé dans la région une coupure invisible qu’elle aurait voulu oublier.
Dommage que Stark ait oublié les quetsches dans le verger qu’il a prévu sur sa terrasse. Comme les mirabelles, elles sont pour les Mosellans le symbole sympa de leur bilinguisme culturel. Simple erreur de noyau qu’il a encore le temps de rectifier.
JG.
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Un projet farfelu vient de nous révéler que Metz avait changé. Le simple fait que nul Messin n’ait poursuivi ce petit polisson de Stark en le voyant tirer les sonnettes de la maison Salomon, un site architectural très connu avenue Foch. Le fait qu'après s'être enfui en courant, le designer ait décidé d'en bâtir la copie voyante sur le toit d'un hôtel déjà très tape à l'oeil... Il fallait oser.
La provok avec un K était de taille mais la ville n'a même pas éclaté de rire. Son silence a montré qu'elle s’en fichait pas mal. La maison Salomon, devenue du coup dix fois plus célèbre, rejoindra la clé du boulanger Harelle et la cravate de Verlaine au Livre d'or des icônes messines. Sauf que cette fois, il y a des dégâts collatéraux. C'est Maurice Barrès qui accuse le coup!
Il faut se mettre à sa place. Il n'avait jamais caché son allergie à cette Ville Impériale que les Teutons avaient dessinée dans les friches du Metz humilié de 1900. Au ciel, l'auteur jouit depuis d'une aura cocardière... Alors, plus de cent ans plus tard, lui mettre sous le nez une villa dont le moins qu'on puisse dire est qu'en matière de germanitude, c'est plutôt du lourd, oser ainsi provoquer le papa putatif de Colette Baudoche, moi je pense qu'il ne s'en remettra pas, sur son nuage.
Notez qu'on est dans la métaphore sportive… Quand tournent les trente-six chandelles que le menton d'un boxeur n’a pas vues venir. Ça s’est passé à Metz au bord de la Seille. On vous le dit. Barrès est KO.