Mei Sprooch és en alter Baam
Verkroopelt un verwuertzelt
qui veut encore continuer à vivre
Le département n’a donc jamais su profiter de sa richesse linguistique. Il n’a pu empêcher que la frontière culturelle ainsi dressée, entre les deux Moselles de la maison Moselle, ressemble à ces filets que l’on tend aux lisières du bois pour attraper les oiseaux dans une maille fine. Sauf que les oiseaux sont des idées, des souvenirs, des chansons et des contes prévus pour voleter plus facilement du roman au germanique, et du Francique au Français. Raisonnons par l'absurde. Si la Moselle avait été romane dans sa totalité, on aurait vite épongé en 1919 les quarante-huit années d’imprégnation prussienne en remettant, comme on le fit au sud, l’apprentissage du français à l’école. Tout se régla en trois générations.
Qu'on le veuille ou non, la moitié nord du département n’avait jamais été de tradition romane. Les autorités jacobines réagirent comme si les germanophones annexés avaient dû, pour se faire pardonner leur accent, renoncer à leur culture traditionnelle. On avait même imaginé que le "Platt" véhiculait des humeurs autonomistes. comme il arrivait en Alsace. Un sujet tabou dans les préfectures. Mais 2012 n’est plus 1920. Aujourd’hui, la Moselle frontalière s’inquiète beaucoup plus de lutter contre le chômage que de se chamailler sur l'autonomie. La preuve, c’est que depuis la crise, le "Platt" redevient doucement, dans les bureaux ou les ateliers, un langage pratique commun aux 150.000 étrangers qui travaillent au Luxembourg, du moins quand ils ont le souci de respecter les habitants du Grand Duché.
Quand le Francique du grand-père faisait peur hier à nos Préfets, c’était de la politique...Quand aujourd'hui plus de 75 000 Lorrains passent quotidiennement la frontière pour travailler de l’autre côté, il s’agit seulement du porte-monnaie.. Ainsi, pendant un siècle, une petite minorité du milieu francophone aura bel et bien chassé de la mémoire messine un parler traditionnel qui servait à se comprendre dans les familles, chaque fois qu’arrivait, venu de la frontière, un oncle par alliance et tout son cousinage. Souhaitons sans méchanceté que ce bouquin sur le "Platt", vendu dans toutes les bonnes librairies messines, serve de salutaire électrochoc à ceux qui pensent encore que l’actuelle avenue Foch, est une horreur.
Il est vrai qu’en 1920, Metz devait faire encore très allemande… Quarante années plus tard, au début des années soixante, certaines vieilles brasseries messines gardaient, vues de la rue, leur look cosy teuton. Entre la frange des rideaux et la verticalité des plantes vertes, on pouvait distinguer par la fenêtre un lieu clos tapissé d’armoiries gothiques et meublé de longues tables en bois. Nichées dans des stalles, elles offraient leur couleur de bonne cire à des lampes bas de plafond qui les éclairaient au plus près, comme des billards.. Les soupeurs qui s’engagaient dans ces recoins devaient chaque fois balayer le banc avec leurs fesses pour se glisser jusqu’au fond. Dès la deuxième bière, ils se prenaient par la hanche et chantaient en "Platt" jusqu’à minuit.
Le Français de l’intérieur qui, de l’extérieur, tendait l’oreille, prenait bien entendu pour de l’allemand les bribes d’un dialecte bizarre et comme il n’entendait ni l’un ni l’autre, il ne retenait de ces sonorités que leur côté parfois chantant et souvent guttural. il l’associait un peu trop bêtement aux souvenirs de l’occupation et s’étonnait de le retrouver en ville en croisant des gens d’un certain âge. Tel restait le Metz des années soixante, où la moitié de la ville comprenait encore le "Platt" et s’en servait à l’occasion.
Cinquante ans plus tard, le Metz des années 2010 paraît vidé de sa vibration francique. Le vieux parler des quartiers populaires a disparu des avenues et ne se murmure qu’aux périphéries.… Il faudrait un poète pour déceler la vieille rumeur de la rue germanique encore incrustée dans les murs. On ne la perçoit plus que le samedi et encore, lorsqu’un vétéran venu des vallées, débarque rue Serpenoise pour passer une radio ou acheter une paire de chaussettes.
Ce changement reste une affaire mosellane et passe inaperçu aux yeux des touristes Pompidou. On ne peut pas leur demander l'impossible. Ils s’attendaient vaguement à trouver une ville entourée de barbelés, un monde à part qu’il leur faudrait arpenter d’une caserne à l’autre et ils découvrent une cité vivante, pimpante et décomplexée, qui vit sa résurrection à la parisienne. Dès le premier soleil, il se déploie depuis une dizaine d'années un long parterre de terrasses aux marges des places et les trottoirs. Le centre ville n’est qu’une mer de chaises, chaque jour un peu plus nombreuses au point que pour s’économiser, les serveurs gardent un oeil pointu sur mouvement des marées avant de se lancer du comptoir jusqu'aux tables les plus lointaines. C'est ainsi que la vague pompidolienne qui va de la gare au centre ville finit par se noyer avant d'arriver au port, dans cet univers de cafés, de bars ou de restaurants.
Avec son Musée de la Cour d’or, sa Cathédrale, son Arsenal et son Pompidou, avec ses places si mystérieusement "minérales", avec ses bouquets d’arbres un peu partout, la ville en grand chantier devient culturellement auto-suffisante, ce qui lui est d’autant plus valorisant qu’elle s’est toujours pensée en capitale. Mais le non-dit de Metz, demeure... Un noyau de sa population cultivée a fini par oublier qu’à moins de vingt kilomètres au nord-est, une autre culture faisait toujours partie de son passé.
Les Messins réalisent enfin, en lisant le journal, que le dialecte francique, même s’il disparaît peu à peu du quotidien dans les villages frontaliers, est parlé régulièrement dans l’est de la Belgique, au Grand duché ou en Sarre.
Il faut quand même croire que tout bouge en Moselle-est. Le petit livre jaune en est la preuve... On dirait une chaine de volcans éteints qui redémarrent au long de la frontière, et dont les éruptions ne sont pas dangereuses, au contraire. Elles prennent la forme de récitals de chansons, de soirées de poésie, de concerts ou de conférences. Déjà des centaines de réunions, des fêtes, champêtres, des retrouvaiilles ou des cérémonies...
Il suffirait qu’il existe à Metz un musée, une salle de lecture, un café, un théatre, bref un endroit pas plus grand que la moitié d’une brasserie où l’on puisse commander une bière en "Platt" sans faire sourire. Un endroit où tout Messin désireux de mieux comprendre la mixité de ses origines familiales pourrait tranquillement discuter avec son voisin en écoutant des chansons. Comme on le fait de Thionville à Forbach, de Bouzonville à Sarreguemines ou de Saint-Avold à Sarrebourg.
Il n’existe même pas un bistrot "Platt" à Metz, même autour de la gare et des arrêts d’autobus . Mais dans les trains qui chaque jour, embarquent 5000 Messins jusqu’à Luxembourg, il risque de s’en trouver beaucoup avec un petit livre jaune sur les genoux.
Chaque fois qu’il ouvre le carnaval, le ministre président sarrois le fait en francique. Et ça n’a pas gêné Jean Michel Massing, qui dirige le département d’histoire de l’art à l’université de Cambridge, de récemment déconstruire en "Platt", à Bliesbruck, les rondeurs de l’érotisme romain. La meilleure nouvelle est à peine croyable: une première passerelle vient enfin d’être tendue par la Moselle francophone, dans la maison de l’Europe de Scy-Chazelles, Vous avez bien lu! Au cœur du pays messin. C’est bien la preuve qu’il ne faut pas désespérer. On n’est plus en 1919.
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