Ah, mes aïeux!

 

Le grand-père de mon grand-père,

en soixante-dix, mort pour la France,

n’imaginait pas la galère

qui attendait sa descendance.

Son fils, le père de mon grand-père,

né Français avant l’annexion,

s'est retrouvé en militaire

dans un régiment de Saxons.

Il souffrit de voir mon grand-père,

son unique et cher rejeton,

partir, en quatorze, à la guerre,

déguisé en parfait teuton...

En trente-neuf, à la régulière

l'armée française en fit autant

pour enrôler mon pauvre père

prisonnier plus tard des Allemands.

Trois mois après, c'est son beau-frère,

pur Messin de parler roman,

qu'on expulsa vers les Corbières

avec sa femme et ses enfants.

En quarante-trois, quelle misère,

ce fut mon tour d’être requis

par les nazis, sous leur bannière

pour aller me battre en Russie.

On n'a pas retrouvé le cimetière,

de mon oncle pris dans la nasse,

ni celui du cousin de mon père

dont on avait perdu la trace.

J’ai eu la veine d'en réchapper

mais mon cœur a des compassions

quand je regarde, en rang d’oignons,

toutes leurs photos sur la cheminée…

En quarante-cinq, les expulsés

n’ont pas compris les enrôlés.

Chacun, se voulant patriote

évitait le regard de l’autre.

C’est pourquoi toujours, en Moselle,

plutôt que de chercher querelle

on préfère parler du beau temps.

pour oublier ces événements

Maintenant, il faut qu'on vous dise

l’histoire du vieux cousin Léon

né allemand vers mil neuf cent dix

pendant la première annexion.

On causait «platt» dans la famille,

la langue de tous les parents

que des grand-mères très gentilles

apprenaient aux petits enfants.

Pourtant, dès qu’il fut à l’école

en dix-neuf, juste après la guerre,

mon cousin perdit la boussole

devant son maître autoritaire.

L’instituteur voulait vraiment

qu'il puisse parler couramment

la langue de Victor Hugo

dont ses parents ne savaient mot.

Et comme il avait interdit

le «platt», même en catimini,

Léon se prenait chaque fois

un coup de règle sur les doigts.

Autant dire qu’au certificat

son moral était au plus bas.

La tête vide et les doigts bleus,

une petite larme au fond des yeux.

J’ai connu bien des Mosellans

qui avaient honte de leur accent

au point que, même à l’âge adulte,

ils n'ont pas digéré l’insulte.

Depuis, les gens de la frontière

font le gros dos quand vient la guerre

car ils se demandent en tremblant

de quel côté va souffler le vent.

Alors ils font comme les anciens

et prennent le temps comme il vient.

De toute façon, quand cesse le feu,

même le vainqueur se méfie d’eux.

Vivement l’Europe à grande allure!

Les frontaliers n’ont pas d’armure

Casque à pointe ou bandes molletières

ils n’ont plus la fibre guerrière.

La culture est un bien précieux

mais en Moselle on en a deux.

Comme disait le Père Gustave

en r'montant sa culotte de zouave.

                                                                                      J G