Souffrances de Paul Tornow

 
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"J'ai appris par un coup de téléphone l'existence d'un arrière-grand-oncle. A la Belle-Epoque, il était célèbre, mais la fin de sa vie ne fut qu'une longue humiliation."

Manfred Voltmer, globe-trotter allemand souvent sur la brèche, n’est pas le genre d’homme à sautiller de branche en branche pour explorer son arbre généalogique. Il ignorait que la sœur du grand-père de son père était l’épouse de l’architecte Paul-Otto-Karl Tornow, rénovateur inspiré de la cathédrale de Metz… C’est par un coup de téléphone que le destin de cet arrière grand-oncle entra par effraction dans son imaginaire et ne le lâche plus depuis.
On peut comprendre sa fascination. Manfred réside aujourd’hui en Moselle et se sent parfaitement intégré dans la complexité européenne. La douloureuse fin de vie de son ancêtre le replonge soudain dans les eaux compliquées de la première annexion.
Il n’est pas certain en effet que Paul Tornow et Anna-Maria Voltmer jouiraient aujourd’hui d'une pierre tombale comme tout le monde, s’ils n’avaient eu la bonne idée de mourir à Scy-Chazelles… Anna en 1916, et Paul en 1921. Partout ailleurs que dans ce village prédestiné, ils continueraient d’inexister sous deux mètres carrés d’oubli.
Le hasard voulut qu’ils aient choisi en 1894 l’un des plus beaux balcons du Pays messin, étalé aux marches de la ville sur un versant très ensoleillé que le creux de ses rues étroites a cependant protégé du murmure urbain. Les Tornow ne pouvaient prévoir qu’un siècle plus tard, ce terroir devenu schumanien se voudrait le phare symbolique de la construction européenne.
C’est donc au flanc du Saint-Quentin que depuis le 9 mars 2013, les noms des deux époux sont dorénavant gravés sur une pierre très verticale et bien visible. Alors qu’avant, il fallait tomber dessus par hasard. On devait se courber pour déchiffrer, au ras du sol et des fourmis, deux plaques couleur "poilu des tranchées", délavées par la pluie et le grand vent lorrain.

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Le site de Scy-Chazelles a donc redonné aux Tornow leur dignité villageoise. Il les a intronisés comme des enfants du pays en les libérant d’une inexistence horizontale. Leurs fantômes ont marché jusqu’à la Maison de l’Europe et en sont ressortis avec un diplôme de bon Européen sous le bras. Le signe qu’il restait, dans beaucoup de maisons du bourg, une mémoire refoulée du couple en détresse, une souffrance humaine incrustée dans les murs et transmise par deux ou trois générations. Ce reliquat de compassion est une irradiation de l’esprit des lieux.