Le monde comprend qu’il a pris un coup de vieux, ce qui ne pouvait calmer des cervelles en surchauffe. Elles envahissent les allées démocratiques alors que des cosmographes nous pédalaient l'avenir dans la choucroute intrastellaire.
Les jeunes chercheurs ont beau s’assoir sur les tables et discuter en bras de chemise, ils ne dégagent plus l’enchantement du futur. Leur téléscope s' infiltre en douceur dans la mousse des galaxies, comme la main du vigneron s’aventure sous un cep feuillu. Ils cherchent une autre explication du monde, dont Zeus n’avait jamais entendu parler.
D’où leur mérite de réorienter leurs télescopes vers un flou qu’ils ne dissiperont jamais, vu qu’ils seront morts avant. On espère qu’ils finiront par inventer, avant de passer à la trappe, des kaléidoscopes à tête chercheuse et qu’ils pourront les « franchement secouer » comme dans la vielle pub des jus d’orange.
Ne pas confondre avec la couleur de ce document de synthèse. La vieille métaphysique est pleine de bleus.
La disparition programmée de l’espace et du temps, avec laquelle la recherche essaie de jongler, n’a pas fini de fasciner, mais elle pose problème à des gens comme moi qui n‘y comprennent rien. Les rognures de cosmos qui zèbrent notre infini en cadeau de Noël ne sont, pour le moment, qu’un foutoir de chiffres mystérieux. A part les poètes, qui pourrait sentir dans leur bouquet les signes d’une spiritualité à réinventer ?
La vie n’est pas un songe mais il a toujours été tentant de s’endormir dans ses rêves. A condition d’avoir prudemment remonté son réveil. Dès qu’un doigt de pied retrouve la descente de lit, nous récupérons nos chères pesanteurs et le minimum vital d’empathie pour se sentir mieux avec les autres. Et les vraies questions reviennent.
D’accord, nous sommes ici mais où exactement ? Ça peut attendre pour vivre mieux. Alors que chez nous, c’est urgent. Comment aider les Terriens à réparer toutes ces inégalités à la naissance ? comment unifier leur regard sur l’essentiel, la pauvreté, l’éducation, la santé… On ne peut plus vivre comme ça. Il faut se parler.
Heureusement, ça bouge encore. Quand l’Université du Vermont a récemment conclu que les cellules de certaines grenouilles se prêtaient à un jeu virtuel, les pêcheurs de Burlington n’ont pas rigolé en se tapant sur les cuisses. Ils se sont souvenus du Pac Man, un logo tout en rondeur inventé, il y a quarante ans, par un Japonais.
Bon sang… mais c’est bien sûr… Ces mâchoires de sécateur, ce coup de fourchette dans l’œuf au plat, ce rire de camembert narquois, donnent a cet emoji la dalle assez souple pour tremper des mouillettes sans avaler les pépins. Pac Man, c’est du Vermont tout craché.
La trouvaille des Américains, c’est d’avoir compris en effet que certaines grenouilles ne s’y prennent pas autrement quand, dans leur gueule, elles font semblant de mâchouiller les xenobots, nom scientifique des micro-organismes. Ce mensonge permettrait de détruire les cellules scabreuses qui font mourir des Lorrains trop tôt.
En somme, il suffirait pour vivre vieux de s’enrouler autour des amygdales une poussière de bio recyclé sans arrêt par des batraciennes. Tout est possible.
Après tout, on vient bien d’apprendre que Sanofi, toujours en avance, sortirait bientôt des protéines « recombinantes », alors…
Quoi qu’il en soit, la Science, avec un S gros comme une maison, est entrée dans le dur de nos croyances par la porte du jardin. Elle se promène dans les galaxies pour y trouver de nouveaux placards et continue de s’attaquer sur terre aux ignorances des humains.
On vous l’avait bien dit : on vit une drôle d’époque. L’ennui, c’est que jeunes voudraient avoir toutes les cartes, ce qui sera dur pour les anciens.
Mettez-vous à la place du paléontologue de la vieille école. Chaque fois qu’en fouillant la terre, il butait sur un dessin, ou un objet, qui repoussait l’âge de notre humanité... il en avait les larmes aux yeux.
On vient pourtant d’apprendre qu’un paysan a trouvé à Bornéo des traces de mains qui ont quarante mille ans. Avec dix mille de moins, les inventeurs de Lascaux vont avoir des complexes, c’est bien normal. Mais au fond, quand on les rapproche, tous ces doigts nous font le même signe.
Souhaitons que Pierre Rabi, ce Gandhi des Aurès, si frêle et peu bavard, ait eu le temps de s’émerveiller en découvrant la dernière image, quelques semaines avant de mourir. Non tant pour la nouvelle en soi mais pour ce qu’elle comportait d’encourageant aux yeux des pionniers de l’agriculture écologique. C’est vertigineux.
« Le pur réalisme, disait Rabi lors d’un passage à Metz, n’est pas d’aller sur les autres planètes. Il est de nous contenter de notre joyau terrestre, pour y inventer enfin la joie de vivre ensemble.
JG déc 2021
