Les anciens d’Amnéville avaient, dès la fin juin, eu vent qu’un bruit courait… Le bronze du général de Gaulle, patiné depuis une trentaine d’années sous leur regard quotidien, allait dans quelques jours, partir aux enchères.
Ce n’était pas une blague. L’œuvre appartenait à l’Office de tourisme, et ce dernier, mis en faillite, devait s’en dessaisir, c’est la règle. La vente avait eu lieu à Verdun.
Que dire, une vente ? Un piège plutôt… Il fallait un certain goût du risque pour tenir ce rendez- vous, certes assez rigolo, à propos d‘un général qui ne l’était pas tous les jours.
Du coup, la séance n’eût pas le rythme habituel des surenchères à bout de souffle. Très vite, on s’aperçut qu’un diable se planquait dans la tranchée avec un téléphone en guise de baïonnette. Une fois… deux fois… trois fois ? Adjugé !
C’est ainsi qu’au lieu de la pelle du 18 juin, ce fut, pour le gagnant, la bonne pioche du 16 juillet.
Mise à prix à 5 000 euros, l’œuvre de Claude Goutin se retrouva, pour 68 000, parachutée en 2020 sur nos élections municipales comme un bazooka de deux mètres largué d’un Lysander anglais sur un maquis de 1943. Le premier qui le trouvait dans la bruyère le rapportait alors au commandant.
L’identité masquée de l’acheteur plongea le public dans un abîme de suppositions folles, comme il l’aurait fait pour un Picasso. Qui pouvait tirer les ficelles ?
Le petit groupe d’Amnévillois savait certes qu’il faut un perdant au bout d’une enchère, mais ça ne l’empêcha pas de quitter Verdun avec l’impression de s’être fait rouler dans la farine.
La municipalité fit appel devant un procédé qu’elle jugeait cavalier car sa crédulité n’avait pas pesé lourd dans la balance. Elle avait espéré un grand moment de communion mosellane. Elle croyait que le panache du grand Charles empêcherait un étranger de desceller sa longue silhouette et de la trimballer ailleurs comme on coupe un bambou.
Par miracle, le mystérieux acheteur n’était pas insensible non plus. Dès qu’il eût flairé que le fric frac pouvait mal passer dans la mentalité locale, alors que dans la départementale, on n’était même pas au courant, il révéla son identité : la société Derichebourg.
Dans la tête des Amnévillois, le nom fit d’abord sourire… Ensuite, ce fut la gêne. L’achat semblait malvenu à propos d’une personnalité hautement patrimoniale, alors que la firme est plutôt connue en Moselle dans le retraitement des déchets.
Constatant les dégâts, Derichebourg fit carrément marche arrière et l’anguille sous roche apparût. La firme offrait la statue… à la ville de Metz, ce qui changeait la perspective.
La nouvelle municipalité messine, élue fort démocratiquement, mais à un bretzel près, ne pouvait en effet rester silencieuse. Le maire fit d’abord savoir que ses intentions étaient pures. Un cadeau, ça ne se refuse pas mais lui, personnellement, n’avait rien contre Amnéville. Il voulait seulement empêcher la statue de quitter le département, au cas où…
L’opposition, mal remise de sa défaite ric rac, ne pouvait rater si belle occasion de coincer une première bulle d’air dans l’alambic municipal. Une élue verte suggéra au nouveau patron de la ville de refuser ce cadeau à la hussarde. En grand seigneur, il devait retourner le bronze à la firme afin que, dans l’espoir de réparer la gaffe, elle la rende à son tour aux pauvres Amnévillois, au petit prix qu’ils pouvaient proposer.
On n’aurait pas trop de souci pour les finances de Derichebourg. Avec ses sept filiales dans le nord mosellan et sa présence dans douze pays, il n’en était pas à 68 000 euros près, même si ça pourrait monter à 80 000 avec les frais.
Depuis, Amnéville se retient de jeter de nouveaux grains de sel dans une soupe déjà mal cuite. Le maire de Metz jure qu’il n’était pas dans les cuisines mais à partir du moment où la presse entière se mord les joues pour ne pas rire, persuadée qu’il tenait la louche, il ne peut accepter de perdre la face. Aucun Paraige n’aurait le droit de priver la cité d’une statue qui va plaire à ses habitants. Même si les Messins n’ont jamais rien demandé.
Difficile d’imaginer la réaction de Claude Goutin vu qu’au Paradis des grands bonshommes, on ne répond pas au téléphone. Par contre, on peut douter qu’à la sortie de cette opération de communication, le comptable de chez Derichebourg auteur de cette idée géniale ait touché une prime.
Il va bien falloir trancher, avant septembre. Quel que soit le vrai diable dans cette embrouille, nous lui conseillons, pour sortir du trou, de profiter d’un weekend et de sauter, masqué de bleu, dans l’autorail d’Epinal, pour demander conseil au Pinau.
Ce jeune homme, beau comme Achille, ne vit pas en effet dans les Charentes comme le pensent les ignorants, mais sur un socle, au centre de la sage capitale vosgienne.
Aussi respectée que celle du grand Charles dans Amnéville, la statue du Pinau est l’une des élégances de la ville, Elle nous le montre fort occupé à sortir une épine de son talon. Quand on veut jouer dans les allées du Patrimoine, il faut savoir où l’on met les pieds.
JG. Août 2020