Drôle d’époque

 

drole depoque 

Pardon d’évoquer un souvenir personnel. Ayant choisi ce titre, voici des années,  pour rédiger  tous les dimanches  un petit millier de billets d’humeur à la proue du Républicain Lorrain, j’avoue n’avoir alors jamais eu l’occasion d’y commenter un événement aussi drôle qu’un projet spatial luxembourgeois !

Vous l’avez lu dans le journal : le Grand Duché aurait déjà son agence pour financer un plan canon. Il s’agirait, si j’ai bien compris, d’une fusée capable de godiller dans le tas de ferraille en apesanteur qui tourne en boucle autour de la terre, afin d’en désintégrer chaque débris à bout portant. On entasserait ce qu’il en reste dans un filet avant de le récupérer doucement, à la louche, vers les poubelles de la technologie. Un peu comme, avant le dessert, on gratouille au ramasse-miettes la nappe des bons restaurant.

Je vois sourire les Mosellans qui, chaque matin pendant deux heures, trépignent du mollet droit pour rouler jusqu’au Kirchberg sans toucher au champignon… Ils ont tort de ricaner car le Luxembourg a les moyens.  Même avec un feu follet au derrière, le moindre robot  parti d’Echternach pourrait trouver son chemin dans cette batterie de cuisine, vu qu'un pied  coincé dans une casserole, il reculerait aussitôt des deux genoux...

On oublie que le pays a beaucoup d’atouts. Sa nature est belle, ses gens faciles à vivre, son essence moins chère, ses flics invisibles et ses feux rouges longuets. De plus, il donne du travail à ses voisins, ce qui nous interdit toute arrogance, même si ses poubelles ont parfois la faiblesse de passer la frontière en catimini. Mais je vous parie une bouneschlupp et un verre d’Elbling qu’aucun frontalier mosellan n’aurait jamais pu imaginer, au ventre d’un aspirateur spatial, la cocarde du Grand duché !

Tant mieux pour lui si les hasards de l’histoire l’ont soudain placé au lieu géométrique de tous les blocages alors que, depuis le Brexit, une pluie de points d’interrogation tambourine sans arrêt aux vérandas des ambassades. On peut, à ce propos, trouver naïf le moral lessivé des derniers fondateurs de la vieille Europe comme si la Grande Bretagne ne leur avait pas, dès les années cinquante, savonné la planche. D’éminents "consultants" s’étonnent encore et je me suis toujours demandé ce qu’ils consultaient au juste…

Nul besoin d’avoir fait Sciences Po pour penser qu’un Yankee connu pour son mauvais  poil l'aura gominé dans les vapeurs de cette cuisine anglo-saxonne. On imagine sa bonne humeur en voyant un quarteron de milords balancer  du haut de la Tour de Londres, une boule de pudding à la graisse de bœuf, moulée vapeur et bien enveloppée dans un linge, dans le jeu de quilles bruxellois.

Mais ne comptez pas trop sur la presse pour imaginer la suite... Elle continue de nous servir l’angoisse du jour qu’elle a draguée dans les réseaux sociaux de la veille. L'Europe se retrouve dans une drôle d’époque et je me sens tout rajeuni de voir nos amis luxembourgeois lui redonner de la hauteur.

Du coup, on respire. Quand, en octobre 2018, le compteur de Moselle humiliée a passé, grâce à vous, les 700 000 visites, je m’étais demandé si, au bout de dix ans, notre site n’avait pas, lui aussi, fait le tour complet des contradictions mosellanes, ce qui pouvait m’obliger à tirer un trait, plutôt que subodorer l’avenir dans des fonds de tiroirs.

En route donc vers des années compliquées... L’Europe se recroqueville et la Moselle itou. Notre Grand-Est n’est présentement qu’un patchwork étalé sur une corde à linge et dont les coutures se défont dès que le vent les a léchées. Un jour, c’est Colmar qui rêve de modifier les pointillés. Le lendemain, Reims en recoud mentalement les jointures et pour finir Nancy tripote les ourlets avec gourmandise. On se croirait au Congrès de Vienne en 1815.

Metz, par atavisme, devra donc se méfier du moindre début de Mosellexit qui pourrait pointer du nez. Car dans le Paris de 2018, ce sont des quadragénaires qui causent le plus souvent dans le micro et comme à cet âge la compassion n’est pas encore un devoir, l’amère fragrance des deux annexions qui plane encore à la frontière risque de se dissiper dans la poussière des plantes grasses, au bas des futurs podiums…

La seule chose dont vous pouvez être sûr, c’est que pour dépoter la Moselle, on tombera toujours sur un cactus.                                  

                                                     JG. Nov 2018