Il y a trois millions d’années, la rivière Moselle eût un apparent moment de folie. Alors qu’elle coulait, depuis la nuit des temps, vers la Meuse, elle quitta subitement son lit pour se diriger vers le Luxembourg!
Un Américain nommé Davis découvrit plus tard qu’elle ne l’avait pas fait exprès. Les entrailles de la terre étaient seules responsables. On classa sous le nom de "capture de la Moselle" ce fait-divers géographique, considéré depuis comme exemplaire par les savants du monde entier.
Le terme de "capture" n’en reste pas moins troublant... Sans doute, fait-il penser à quelque agression tellurique, modifiant par hasard le cours d’eau, bien avant que le premier Australopithèque n’ait osé, de l’orteil, en tâter la froideur. Mais quand on passe de la géographie à l’histoire, l’on est amené à se demander si ce hasard ne serait pas plutôt une fatalité. Il y a gros à parier, en effet, qu’une bonne douzaine de siècles avant de voir la rivière Moselle donner son nom à leur département, les habitants du plateau lorrain avaient déjà le sentiment d’être "capturés" plus souvent qu’à leur tour.
Si la prédiction est exacte, ils n’avaient pas tort de se faire une raison. Et l’on comprend mieux pourquoi l’accoutumance aux malheurs de la guerre est restée longtemps accrochée au code génétique du Mosellan de base comme un vieux chromosome désabusé. Il a vécu sur un morceau d’hexagone à géométrie variable qui tentait sans arrêt les voisins.