Survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane, Robert Hébras, 86 ans, a fait face, mardi soir à Strasbourg, au feu roulant des associations d’incorporés de force qui ont attaqué en justice son livre témoignage.
Quand les lumières reviennent ce mardi soir à Strasbourg dans la grande salle de l’Odyssée, on se sent un peu groggy. Comme sonné par "Une Vie avec Oradour", le documentaire que Patrick Séraudie a consacré à Robert Hébras, un des six survivants du massacre d’Oradour-sur-Glane. Un des derniers témoins de ce 10 juin 1944 .
"C’est un film fort. La discussion qui va suivre ne doit pas tourner au règlement de comptes. Mais jeter le socle d’une réconciliation", lance Faruk Günaltay, directeur du cinéma, en guise d’introduction. "Je suis là pour qu’on oublie pas mal de choses. Dans cette période tout le monde a eu beaucoup de mal," lance Robert Hébras en direction du public… et de ses adversaires dans les prétoires.
"Je m’excuse d’avoir pensé cela à une époque de ma vie"
On croit d’abord que la salle va saisir la main tendue. "Je voudrais vous assurer de l’entière sympathie de l’Alsace. Je comprends que vous ayez été choqué par la présence d’Alsaciens parmi vos bourreaux. Avez-vous compris, depuis, le pourquoi de cette présence? Le poids de cette chape de plomb brune qui s’était étendue sur notre région. Et la contrainte qu’elle faisait peser sur les Malgré-nous?" s’interroge le fils d’un incorporé de force.
"Pendant longtemps, j’ai cru que ces jeunes [les Alsaciens présents le 10 juin aux côtés de la SS, ndlr] étaient tous des engagés volontaires. Il y avait cette croyance que la SS ne comptait que des volontaires. Je m’excuse d’avoir pensé cela à une époque de ma vie. Aujourd’hui, je sais que, vous comme moi, nous avons beaucoup souffert. Serrons-nous la main," lui répond le rescapé. "Cette histoire ne peut que nous réunir", reconnaît son interlocuteur.
"Mais alors, vous vous désolidarisez de tel ou tel qui a intenté un procès à Robert Hébras?," rebondit Faruk Günaltay en sa qualité d’animateur. La réponse fuse: "Non. Pour moi, le problème est ailleurs. L’Alsace doit être reconnue comme étant le produit d’une histoire. Elle a été annexée. Ça change tout."
"Rappelons que quelques Alsaciens ont refusé de porter l’uniforme"
Les échanges prennent une autre tournure. "Moi, ça me fait mal que le maire de Strasbourg aille demander pardon," lance le président d’une association d’orphelins de Malgré-nous dont la famille a perdu "six jeunes hommes du fait de l’incorporation". "Mais moi aussi je suis orphelin! D’une maman et de deux sœurs," s’exclame Robert Hébras. "L’Alsace n’a aucune responsabilité là-dedans!," jette le militant associatif.
Faruk Günaltay a beau recentrer le débat, rappeler "qu’opposer une douleur à une autre" n’a aucun sens; l’écrivain Pierre Kretz a beau pointer les insuffisances du travail de mémoire français sur l’incorporation de force — soulignant que l’origine de la dispute se trouve sans doute là — rien n’y fait. C’est Robert Hébras qui est mis en accusation. Soupçonné à nouveau d’avoir jeté l’opprobre sur l’ensemble des Malgré-nous.
La charge est telle que d’autres voix finissent par s’élever. Un homme avoue qu’il a "du mal à comprendre la haine qui peut surgir dans les propos de certains". Un autre prend la parole, ému: "Rappelons que quelques Alsaciens ont refusé de porter l’uniforme. Mon père a refusé l’incorporation. Il a été déporté à Buchenwald. Peut-être que tout le monde ne pouvait pas agir de la sorte, mais quand même."
Un premier esclandre suggère qu’il faut en finir. Robert Hébras remercie les personnes venues l’écouter. Rappelle qu’il était venu dans un esprit d’apaisement. Soixante-sept ans après les faits, la réconciliation attendra encore un peu.
par Manuel Plantin, publié le 24/11/2011 à 05:00