1._agnes_ruth.jpg

Le 3 février 1996, donc une cinquantaine d'années après les événements, Agnès Ruth avait accepté de me raconter l’histoire des Lorich pendant la guerre mondiale. Notre propos était de comprendre le regard que portait sur l'époque, une fillette du pays de Bitche. Car enfin, les funestes années qui vont de 1939 à 45 avaient bouleversé son enfance, occasionné la mort de trois êtres chers et humilié toute sa famille. Agnès avait tout supporté, l’évacuation vers les Charentes, le retour angoissé après la débacle, les pièges de la nazification, l’insultante obligation d’occuper la maison d’un compatriote expulsé, la fin programmée de son père à Dachau et l’assassinat de son oncle et de sa tante à Oradour. Ce qui n'avait pas empêché les siens de se faire, à la Libération autour de Nancy, traiter un moment de collabos par un paquet d'imbéciles. Bref, un concentré saisissant des douleurs mosellanes.

La famille était grande et de bonne souche. Les grands-parents d’Agnès, Nicolas et Anne Lorich, avaient eu six enfants: Jacques était prêtre, Jean était gendarme, Elisabeth religieuse et Gustave employé de coopérative. Angélique assistait Jacques et Joseph, était militaire.

Les parents d’Agnès, Gustave et Marie Lorich, habitaient Hottviller, dans le Bitchertland, la partie la plus excentrée de la Moselle germanophone. Ils avaient deux autres enfants, Georges et Gilbert, plus jeunes que leur sœur.

L’oncle d’Agnès, Jean Lorich, avait un fils Gérard du même âge qu’elle, au point que les deux cousins étaient très liés. Relancé par leur complicité, le film de cinq années tragiques n'aura cessé de repasser dans leur tête. Leur jeune mémoire de cousin-cousine a cimenté ainsi la cohérence familiale en regroupant des souvenirs pourtant très dispersés.

Cliquer ici pour lire la suite...

godfrin.jpg Cette interview de Roger Godfrin, que j’ai faite en 1998, a eu lieu chez lui, à Basse Ham ( près de Thionville). Il avait alors 61 ans et il y a longtemps que tout le monde l’avait oublié. Marié et père de deux enfants il vivait sa retraite avec son épouse, jusqu’à sa mort en 2001. Devenu l’icône désabusée d’un dossier plein d’amertume, il ne parlait qu’à son ménate et s’était montré fort surpris de me voir arriver. Son témoignage extraordinaire apporte un regard d’adulte, désabusé, truculent et non-conformiste sur un évènement mille fois commenté. On est loin des centaines de déclarations à l’eau de rose que la presse de l’immédiat après-guerre avait plus ou moins attribuées à son personnage quasi biblique d’enfant rescapé.

"Chacun vit son destin. Moi, je n’avais pas choisi d’être le gosse orphelin de Charly, le petit rouquin rescapé d’Oradour. Je suis né le 4 août 1936 et, depuis que j’ai eu huit ans, j’ai vécu avec le noir souvenir d’un massacre... C’est comme une peur qui est restée en moi et qui me ronge encore la nuit

Je repense souvent à ma famille. Je la reconstitue... C’est que je ne les ai pas connus bien longtemps, les pauvres… Le 18 novembre 1940, lorsque nous avions été expulsés, mon père, Arthur avait 32 ans, ma mère Georgette 27. Quant à mes frères et soeurs... Marie-Jeanne avait 8 ans, Pierrette 6, Claude 10 mois. Ma soeur Josette n’était pas encore née. Tous massacrés.

J’ai quelques souvenirs, comme si j’avais vécu dans une autre vie. Avant que nous soyons expulsés de Charly, mon oncle Emile venait souvent d’Olgy pour voir sa soeur, et il me prenait parfois sur sa grosse moto. Il m’a dit plus tard que j’étais un petit rouquin dissipé quand j’étais gosse. Un "vrai petit voyou".

Lorsque les Boches sont arrivés avec leurs camions, il a dit à ma mère: "Ecoute Georgette, laisse nous au moins la Pierrette. Mais le Roger, on n’est pas contre, tu peux l’embarquer avec vous."

Cliquer ici pour lire la suite...