Brèves de frontière

 

Gentillesses d'époque

A la fin de la première annexion, en 1919, la propagande cocardière remit en usage une vieille expression populaire des Lorrains de langue romane, quand ils voulaient se moquer, plus ou moins méchamment, de l'accent des Lorrains de langue germanophone. Parler comme un allemand, c'était "hallemander", en insistant lourdement sur le H.

On disait aussi "hachepailler", allusion au bruit que l’on fait en hachant de la paille pour en faire de la bouillie. Ces gentillesses ont longtemps blessé les Mosellans du nord. Surtout quand elles venaient des Mosellans du sud. Par contre elles les amusaient quand les mêmes plaisanteries venaient des Meurthe-et-Mosellans à propos des Mosellans du sud. On était toujours le Boche de quelqu'un.

Souvenir des Charentes

Les 80 000 Mosellans qui vivaient dans la zone rouge, c’est à dire au dessus de la Ligne Maginot, furent dès septembre 1939 priés de quitter précipitamment leurs bourgs et leurs villages. Réfugiés dans les Charentes, selon un plan depuis longtemps préparé par les autorités françaises, ils étaient quasiment tous de langue germanophone, et les plus vieilles générations, pour la plupart rurales, ne parlaient pas un mot de français.

En effet, si les enfants et les adultes jusqu’à 20 ans avaient été à l’école française, rétablie depuis 1919, le problème se posait à partir des trentenaires,qui avaient tous été à l’école primaire allemande. Les plus âgés ne comprenaient que le "Platt". La population charentaise eût de la peine au début à comprendre la douloureuse ambiguïté du destin de ces pauvres gens. Ils parlaient la langue de l’ennemi, alors que les maris charentais étaient mobilisés sur la ligne Maginot! Les maris mosellans aussi, heureusement... Mais très vite, les évacués furent adoptés.

Cette adaptation relativement facile dura jusqu’à la débacle de mai 40.Les occupants allemands, surpris de découvrir des germanophones si loin de la frontière, leur ordonnèrent de remonter en Moselle, avec la bénédiction passive de Vichy. Quelques-uns, parmi les plus jeunes, désobéirent et peuplèrent plus tard les maquis français.

L'ignominie faite au Bitcherland

Les populations de 18 communes rurales du Bitcherland, tout juste remontées des Charentes vers leur village dans la deuxième moitié de 1940 sur l'ordre des Allemands, n’eurent pas même le temps de rafistoler leurs maisons détruites ou pillées.

Plus de 9000 d'entre eux furent obligés quelques semaines plus tard de reprendre la route, pour se déporter vers le sud du département, dans le Saulnois, le Val de Metz et la vallée de la Seille, donc à quelques dizaines de kilomètres de leur canton. Il leur fut ordonné de s’installer dans les fermes vides de Mosellans francophones qui venaient d'être expulsés par les Allemands! Ils y restèrent jusqu’à la fin de 1944.

Quand on connait les réflexes très conformistes de la population frontalière à l'époque, son souci des apparences et son respect du bien d'autrui, l'on mesure ce que fût aux yeux de ces honnêtes ruraux le fait de se plier à un tel ordre.

Forcer quelqu’un à vivre cette condition humiliante de "coucou" dans la maison d’un compatriote, est typique de la perversion nazie.

1500, pas un de plus!

Dans le camp russe de Tambov, où furent internés la majorité des enrôlés de force mosellans et alsaciens (faits prisonniers par les Soviétiques ou déserteurs du front entre 1943 et 1945) les conditions étaient très dures, même si par nature, elles ne peuvent honnêtement être assimilées aux camps de concentrations nazis. Tous les témoignages concordent: Très peu de nourriture, un froid terrible et pratiquement pas de soins. Chaque jour, il y avait des morts. Mais rien de comparable avec l'horreur absolue d'Auschwitz.

Pour essayer de manipuler un peu la vie angoissante de ces prisonniers, dont ils comprenaient mal l'origine, les Soviétiques avaient créé un "Bureau des Français" qui intervenait sur tous les problèmes. Quelquefois d'une façon qui ne satisfaisait pas tout le monde. Il était en effet composé de prisonniers mosellans francophones, de profession libérale, et d’Alsaciens. Les mosellans frontaliers germanophones s'y sentaient parfois oubliés.

Les Russes avaient du mal à imaginer que ces prisonniers allemands soient en fait des citoyens français embarqués malgré eux dans cette galère. Ils se disaient persuadés qu'il se cachait dans le camp des membres de la Légion antibolchevique...

A force de démarches du côté des Alliés, on se mit d'accord pour régler le problème, alors que lag uerre continuait en Allemagne. Mais seuls 1500 "Malgré-nous" furent rapatriés en 1944, via Téhéran et Alger, grâce à un accord entre Staline et de Gaulle et les démarches du général Petit.

D’autres voyages étaient prévus, mais il semble que certains "élus" du premier convoi, une fois remis aux autorités anglaises pour la suite du voyage, aient eu la mauvaise idée de faire des signes hostiles à l’officier russe qui les avait accompagnés. Du coup, le principe de ces retours fut annulé. On offrit seulement aux prisonniers de s'engager dans l'armée soviétique...Il y eût des volontaires, mais l'armistice annula le projet.

Certains "Malgré-nous" ne rentrèrent de Tambow qu’en 1946, et même 1947. D'autres jamais. Tous moralement meurtris, sachant que la France ignorerait toujours leur destin inimaginable. D'où leur profil-bas douloureux, dont ils semblent enfin vouloir sortir depuis une quinzaine d'années.

La question qui fait mal...

Les 85 000 Mosellans francophones expulsés de leur maison par les Allemands entre la fin du mois d'août et décembre 1940 ont souvent raconté, non sans humour amer, qu'à leur arrivée en France, la première question qu'on leur posait, après les avoir gratifiés d'une "Marseillaise" et d'un piquet d'honneur, était assez dure à entendre: "Mais qu'est-ce que vous avez donc fait pour qu'ils vous chassent?"

vec&uqssi ns cette galère.