Cocteau in vitro, incognito

 

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Au printemps 2013, les Messins ont appris dans le journal qu’ils étaient des privilégiés: leur ville cachait, tout au fond d’une église d’Outre-Seille, des vitraux signés Jean Cocteau… La nouvelle fit sensation. Trois ans à peine après Pompidou, c’était trop.
Sauf qu’ils dormaient à Metz depuis cinquante ans, les fameux vitraux… On avait d’abord envisagé de les installer sous les voûtes de la Cathédrale jusqu’au moment où le sacristain de service les avait priés d’aller se faire sertir ailleurs. C’était en 1963… Et depuis, à part les historiens d’art qui se croisaient parfois aux archives, personne n’était au courant de leur déménagement à la cloche de bronze.
La seule chance qu’avait dorénavant un Messin de tomber le nez dessus était d’être surpris par un gros orage en passant rue Mazelle et de s’engouffrer en courant sous le portail de l’église Saint-Maximin.
Tout cela n’était guère valorisant pour Cocteau, dont les manières élégantes auraient exigé plus de considération. Fort heureusement pour son image (enfin, si l'on peut dire) le fait de mourir au tout début de son long chantier messin lui donna le temps d’oublier l’affront. Comme tous les esprits sulfureux qui, du Purgatoire, regardent la Terre de loin en attendant la quille, il se souvint que les experts les plus éminents sont bourrés de préjugés qu’ils se repassent en famille. Alors ceux qui n’y connaissent rien, vous pensez…
Cocteau n‘était donc pas pressé… Lui-même n’avait-il pas mis trois ans, durant la guerre, pour écrire son fameux "Leone", un long survol de ses insomnies, lancé comme un drone au ras des toits? Les cent vingt quatrains de son rêve éveillé posaient un regard de chaman sur nos pesanteurs mansardées:

"Voilà comment marchait l’implacable Léone.
Car Léone, en marchant était caméléone.
Elle adoptait, des lieux, la forme, la couleur.
Léone se mouvait sur des pieds de voleur. [...]
 
Elle marchait, Leone, entre les feux éteints.
Ainsi les acteurs grecs marchent sur des patins."

 

Tout s’est passé au fond comme si Cocteau était un peu responsable. Il aurait pu le dire avant, qu’il n’était pas le premier venu! Pour cette fois, Metz ne lui tiendra pas rigueur d’avoir caché son jeu dans les allées du diocèse… Les Messins lui pardonnent.

Mais ils ne sauront jamais si, depuis cinquante ans, il a parfois chaussé les patins et longé incognito les menus trottoirs d’Outre-Seille, à l’heure où le marchand de sable était passé.

Si c’est le cas, il a dû arriver chaque fois jusqu’au 61 de la rue Mazelle avec une sacrée envie de rigoler.


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