La découverte des fameux Vases avait laissé la Moselle de marbre. Déterrés à Yutz dans l’improvisation la plus champêtre, ils auraient pu finir à Bouzonville dans un dépôt de farces et attrapes. Les frères Venner, qu’on voit ici joués par deux acteurs dans le film de Patrick Bosso, avaient été les seuls à flairer la bonne affaire. Ils furent bien obligés d’avouer leur mise en scène quand ils furent jugés à Metz et condamnés à deux mois de prison le 11 juin 1930.
Mais ce n’est pas la fin du conte de Noël. Bien au contraire. Silence, on tourne !
Nous revoici à Basse-Yutz, la dernière semaine de novembre 1927, sur le chantier. L’un des piocheurs, Michel Dazy, a repéré quatre formes bizarres et les copains sont venus voir. Il gratouille prudemment du bout de la pioche et dégage deux chaudrons ventrus, puis deux cruches élégamment sculptées. Brutale angoisse dans la tranchée.
Ne touche pas, ça peut avoir de la valeur… Tu crois ? Bien sûr. … On n’aura que des ennuis… Il a raison, qu’est ce qu’on va en faire ? Pour moi, ça doit dater du temps des Romains… T’es pas fou ?
Le tout chuchoté en Platt bien sûr, le nez en arrêt devant les incrustations impressionnantes. Comment ne pas imaginer l’embarras de ces anonymes, habitués au profil-bas quotidien de ceux qui doivent transpirer pour gagner leur vie. Déjà, les plus froussards veulent prévenir le chef de chantier alors que les plus prudents s’éloignent. Moi, je vous préviens, les gars, j’ai rien vu.
Pop, Pop, Pop ! crie quelqu’un. Pas de panique ! On est un samedi…Michel Dazy va voir André Malher. Ce dernier, devinant que son copain est dépassé par les évènements, demande à un nommé Dag de leur fournir un sac, pour garder le trésor à l’abri dans une baraque de l’entreprise. Dag est d’accord mais lui fait promettre de tout montrer lundi au chez d’atelier qui s’appelle Oberlé. Ce qui laisse penser que le dit Oberlé ne travaillait pas le dimanche. Pour une fois, il aurait mieux fait de ne pas aller à la pêche.
Quand il revient en effet deux jours plus tard, le sac a disparu et la petite équipe des terrassiers sait déjà que les copains Venner, jusqu’alors peu bavards, sont rentrés à Bouzonville avec… Ils ont du se dire qu’une occasion pareille n’arrivait pas deux fois dans la vie.
On interroge mollement les deux culottés. Les Vases ? Tenez, les voilà ! Mais pourquoi les avoir emportés chez vous ? Parce que c’est à Bouzonville qu’on les avait trouvés, dans la maison de notre maman. On était venus à Yutz seulement vous les montrer. Nous ne sommes pas des voleurs.
Comment les copains terrassiers qui se trouvaient avec Michel Dazy dans la tranchée avaient-ils pu avaler une couleuvre aussi grosse ? C’est le vrai mystère humain de leur silence. Il laisse deviner un climat soudain, fait d’intrigues ou d’intimidations diverses dans un milieu jusqu’alors assez tranquille
Les Venner, eux, ont du cran. Ils se font tout petits et ne demandent pas la lune. Ils veulent seulement, et c’est normal, se débarrasser d’un truc qu’ils ont trouvé. Tant mieux s’ils peuvent en tirer quelques sous ! Jean-André a 29 ans et Jules-Joseph 31.
lls en parlent à voix basse aux voisins, ils nettoient les objets dans un bac à linge, ils les exposent dans une pharmacie mais sans trouver d’amateur. Du bronze, leur dit-on… ? et alors ? En 1898, donc durant l’annexion, on en trouvait des pelles en construisant la Brasserie… Même le grand Johann-Baptist Keune, archéologue né à Trèves et directeur du Musée de Metz, n’avait pas bronché.
Les deux Venner lèvent enfin le voile et proposent un prix : 3000 francs, ce qui pour eux n’est pas rien. On leur rit au nez. Va pour 2500 mais l’on ricane encore. A 1000 peut-être, on pourrait voir. Un autre archéologue très connu rate la bonne occasion de se taire. Bon sang, dit-il, mais c’est bien sûr ! L’étable en sous-sol des Venner est construite sur un mausolée ! Des personnalités messines se renseignent discrètement pour acheter la maison.
Mais à Yutz, on réagit mal au bras de fer des deux loustics. Les Chemins de Fer d’Alsace-Lorraine, maîtres du chantier, lèvent un sourcil. Ces objets sont trop bien conservés, font-ils remarquer. Vous parlez des "Vases de Bouzonville" mais s’ils avaient séjourné dans cette maison, le sol argileux, déjà très humide et truffé de produits chimiques, les aurait depuis longtemps rongés.
Le trésor passe des mains d’un antiquaire messin à celles d’un amateur de Longeville les Metz, puis à celles de Jacques Théré, directeur du "Messin" qui les apporte au Musée de la Cour d’or… Le conservateur Roger Clément les examine à son tour et les prend en photo, mais il ne dit rien. Ou plutôt, il en tombe malade et Jean-André Venner, de plus en plus énervé, vient les récupérer au plus vite pour revenir à sa proposition de base, 3000 francs, c’est à dire 1750 euros d’aujourd’hui. Il les vend à un notable messin, le Baron de la Chaise. Le contrat prévoit aussi "une paire de chaussettes pour notre maman". Pas celle du baron, bien sûr.
Ce dernier propose aussitôt les Vases au Musée du Louvre mais il fait chou-blanc. Il les cède alors à un courtier connu pour sa ruse et ce dernier se fait une joie d’en tirer 20.000 francs dans le bureau feutré d’un nouvel expert parisien ! On navigue dorénavant dans les hautes eaux académiques et la négociation franchit la Manche. Le prix remonte le courant comme un saumon dans la Tamise.
Les Vases échouent à Londres au printemps 1928 et Reginald A. Smith les regarde… Le conservateur est le premier à parler d’antiquités préromaines. Elles proviennent d’un service à vin et datent de la fin de l’époque celtique, autour de 400 ans avant Jésus Christ. L’information remplit de honte un potier messin chargé au début de réparer l’un des vases et qui l’avait plutôt vu contemporain de Napoléon.
Le marchand londonien veut cette fois 5000 Livres, soit 650.000 francs. Plus de vingt fois le prix des Venner ! On fait la quête dans les beaux quartiers et trois des Vases arrivent au British Museum. L’institution achètera le quatrième un peu plus tard, pour 320 Livres.
Les deux chaudrons de bronze ont des anses mais pas la moindre décoration. Par contre les deux cruches sont incrustées de corail et d'émaux, et surplombées d’un bec verseur très sophistiqué, où vibre un mouvement de figurines animales. Un charmant canard nous rassure mais des chiens ou des loups montent la garde, près d’un couvercle aux aspects guerriers. Le Celte qui a fait ça n’était pas le premier venu.
La faute à Oberlé.
Qui était en congé
S’il s’était trouvé là
On n’en serait pas là.
Les articles du "Metzer Freies Journal" mettent le feu en 1929. La Compagnie des Chemins de Fer d’Alsace-Lorraine, dépêche un enquêteur à Yutz pour en finir avec cette comédie. D’abord, lui disent ils, il faut “débouzonviller“ nos Vases ! Ensuite, leur donner un vrai propriétaire, enfin tenter de les ramener chez nous. La presse internationale fond sur la Moselle, ce qui ne lui était arrivé souvent depuis le 11 novembre 1918. Les journaux britanniques ricanent en voyant la façon dont les Français "have been conned", ce qui veut dire "se sont fait blouser".
Le tournage très soigné du film de Patrick Basso, nous fait revivre les moments forts de procès, près d’un siècle plus tard. Le juge inculpe les frères Venner de vol et les Chemins de Fer d‘Alsace Lorraine réclament la propriété exclusive des Vases, puisqu’on les a trouvés sur leurs terres.
Les avocats se surpassent avant le verdict. Celui des frères Venner veut s’abriter derrière la loi locale, celui des Chemins de fer accuse l’entrepreneur Schnitzler d’avoir laissé filer le magot, et celui de l’entrepreneur répond qu’il n’avait rien à voir là-dedans.
En octobre 1930, la Cour d’Appel reconnait Michel Dazy comme le premier "inventeur" du trésor, et la Compagnie des Chemins de Fer comme propriétaire des quatre Vases, même si le British Museum n’a pas l’intention de les lâcher…
Les frères Venner porteront le chapeau et feront leurs deux mois de prison. L’entrepreneur Schnitzler est déclaré civilement responsable mais aucun autre acteur de cette longue entourloupe n’est inquiété. S’il n’était mort 232 ans plus tôt, notre bon La Fontaine eût écrit alors une fable de plus
A la place, nous n’avons qu’un conte de Noël et comme on vous l’a dit, le sortilège continue. Un innocent dérapage du film à la télévision est arrivé. Et alors ? Ce sont les imprévus déplaisants du métier.
Mirabelle TV fait dans la région, et depuis des années, un travail bien trop important pour que l’idée nous effleure de critiquer des collègues. Cette histoire est seulement drôle.
Au cinéma, quand un film patine, on pense que l’opérateur va s’en apercevoir. On se dit qu’au travers capitoné de sa cabine, les sifflements finiront par l’atteindre. D’un quart de tour de sa clé à molette, il nous remettra le Balthazar à l’endroit... A la télé, c’est pareil et l’hiver, c’est toujours à cause de l’orage.
Mais cette fois, mystère, personne n’a rien noté. Il s’est murmuré depuis, autour de Thionville, que la chaine a eu des ennuis techniques parce qu’elle a utilisé la version longue du film, celle qu’avaient vue les invités officiels en novembre, dans de très bonnes conditions, eux, mais en salle. Et comme ils avaient d’autres choses à faire qu’à la regarder deux fois de suite, aucun de ces privilégiés n’avait eu vent de l’incident… Alors qu’à la TV, il eût fallu choisir la version courte, beaucoup plus adaptable.
Sachez en passant que les sinistrés de Noël qui n’ont pas eu la patience de subir le chevauchement jusqu’au bout pourront toujours trouver un DVD en téléphonant à Patrick Basso à Marly.
Mais pour nos Vases, ce fut la guigne. Nos deux Anglaises de la photo du British Museum, loin de se faire du souci pour l’avenir de leur "Basse-Yutz flagons" comme je le pensais, avaient repris l’espoir au contraire. Elles rentraient d’un aller-retour inquiet au marché de Noël à Strasbourg et avaient roulé dans le Grand-Est où elles devaient passer la nuit…C’est à Metz qu’elles étaient tombées par hasard sur Mirabelle TV, en titillant la TNT de leur chambre d’hôtel. Le film avait définitivement rassurées quand elles avaient vu les Mosellans se couper sans arrêt la parole au lieu de parler d’une même voix.
A la place de mes Anglaises, je me méfierai pourtant. Le sortilège rebondit... au point de redonner l’espoir au Président Weiten : Le président Macron qui est à l’étage au dessus, a promis à l'Angleterre de lui prêter la tapisserie de Bayeux, brodée à Canterbury. Serait-ce le moment ou jamais ?
Il existe un jeu dit "des Vases de Yutz" bien connu dans le Thionvillois. Une soixantaine de cases à propos des célèbres objets, pour rafraîchir la mémoire des familles pendant les longues soirées d’hiver.
A la place de ses inventeurs, j'en mettrai une de plus pour Bayeux. On y verrait Harold à la bataille de Hastings, avec sa flèche dans l’œil.
Ce serait du donnant-donnant… Un Macron tout sourire aborderait l’amère Theresa : "Ma chère May, tu sais bien que si je le pouvais, je te prêterais la Tour Eiffel mais je sais que tu ne pourras jamais me prêter Buckingham Palace alors… Refile-moi les Vases pour un an ou deux et je te fourguerai la tapisserie."
Rien n’est jamais joué dans les contes de Noël. Les Rois mages ont toujours su qu’il ne fallait pas mettre la charia avant l’hébreu.
JG Janvier 2018