Prix de l'academie de Metz Couverture

La guerre, les Lorrains du nord connaissent, mais cette connaissance les laisse désabusés. Depuis des siècles, on les envahit, on les colonise, on les annexe... Et pour finir, la France n'en a pas su grand chose.

Sur les souffrances qu'a générées la peste nazie entre 1940 et 1945, des Mosellans avaient certes écrit des pages pathétiques.

Mais chacun regardait le malheur à sa fenêtre. On avait ainsi des récits fragmentés: l'expulsé ignorait l'incorporé, l'annexé oubliait le déporté, le transplanté méconnaissait l'interné.

De cette mémoire au goutte-à-goutte, la France déduisait que ces drôles de Lorrains étaient incapables de prendre du recul sur ce qui leur était advenu collectivement. Comme s'ils souffraient d'un complexe. C'est pourquoi la plupart des historiens de l'annexion peuvent, aujourd'hui encore, ignorer superbement la Moselle, en ne parlant que des Alsaciens

Cette ignorance est fâcheuse, car les problèmes d'identité de la Lorraine, coupée en deux en Moselle par une frontière linguistique, sont bien plus passionnants à étudier que les états d'âme de ses orgueilleux voisins.

A la différence de l'Alsace, dont le dialecte alémanique est rassembleur, la Moselle reste inhibée par l'ambigüité de sa double culture, romane et germanique. Ce n'est pas de sa faute si deux nationalismes bornés se sont rencontrés sur sa vieille terre de métissage où, dans chaque famille, les grands-mères ne parlaient pas toujours la même langue.

Il était temps que les Mosellans retrouvent enfin la parole pour nous proposer un regard global sur eux-mêmes. C'est fait. Sans rhétorique cocardière, sans préoccupation revancharde, sans commentaire larmoyant, près de 200 témoins, que l'âge a soudain libérés, nous offrent un saisissant recueil au terme duquel on se gardera bien de distribuer des brevets de patriotisme.

On peut souhaiter que ce document incontournable ôte à l'avenir, aux "Français de l'intérieur", toute envie d'étaler leur ignorance en plaisantant un peu trop facilement sur ceux qu'ils ont osé, trop longtemps qualifier de "Boches de l'Est".

Éditions serpenoise. Epuisé

 

Ce livre a l’ambition de révéler au reste de la France une frustration que les habitants de la Moselle ont toujours quelque peine à évoquer sereinement. Elle touche en effet à leur image depuis l’annexion allemande. Des ignorants se laissent aller encore à les traiter de "boches", sans trop savoir de quoi ils parlent, ni mesurer l’injustice du propos. Il est admis qu’un œil extérieur a plus de recul pour mesurer objectivement les choses. Selon la logique locale, l’auteur peut donc revendiquer cet œil extérieur puisqu’il est un "Français de l’intérieur"...

silence rompu

Il n’aurait pourtant pas touché à ce dossier empoisonné s’il n’avait senti un urgent besoin de se raconter parmi les Mosellans qui ont vécu le chambardement de l’été 1940. Ceux qui sont partis comme ceux qui sont restés, ceux qui parlaient français comme ceux qui comprenaient l’allemand... Ils en ont tous gros sur le cœur et se libèrent. Le long frémissement de leur passé refoulé jaillit comme un geyser à la première personne. Il a la nouveauté d’un scoop qui aurait mijoté pendant cinquante ans! De ces destins qui s’entrecroisent, du regard qu’ont saisi les superbes photos de Claudius Thiriet, il émane une humiliation résignée. La même qu’on trouvait déjà, au siècle dernier, dans le premier vers d’une chanson du terroir:

"J’ai un mouchoir dedans ma poche

qui est plié en quatre plis.

J’ai tant pleuré, versé de larmes

que p’tits ruisseaux ont débordé.

Petits ruisseaux, grandes rivières

quatre moulins en ont tourné."

Longtemps, le Mosellan a essuyé ses larmes. Trop longtemps, il a fourré sa vérité dans sa poche, avec son mouchoir par-dessus.

Éditions Serpenoise. Epuisé

Image Exemple

Cet ouvrage était différent des trois autres. Il se voulait, très modestement, un album dans les nuages, une oeuvre d'art. Il n'a donc rien à expliquer mais compte plutôt sur le choc visuel. La Moselle qu'il nous montre est le fruit du talent de Claudius Thiriet, dont les fidèles de notre site admirent chaque fois les photos tournantes, en tête de chaque page.

   Comparer le département à une planète n’est qu’une jolie métaphore mais le compliment n'a rien d'excessif. Un détail rapproche en effet ce bout de terre en Lorraine d’un astéroîde dans le cosmos: l’un comme l’autre, ils viennent de loin.

   On pourrait seulement objecter que la distance qui nous sépare d’une planète se perd dans un rêve d'expédition future, alors que celle qui nous sépare de la Moselle n'interdit pas de se pencher sur son mystère présent.

   Et pour le faire, , peut-on trouver meilleur moyen qu’un petit ULM? C’était depuis longtemps l’idée de Claudius Thiriet. Il nous offre, dans cet album exceptionnel, 140 photos dont chacune a la profondeur d’un hommage. Il nous suggère, d’en haut, la majesté de la terre, le passé des villes, l’orgueil des châteaux, la flamme industrielle qui vibre malgré les crises, et l’espoir qui s’accroche aux friches.

   De cet inventaire plein de retenue, il se dégage une beauté jusqu'alors peu connue, un  souffle original . Pour révéler dans quel esprit notre ami a survolé le département, nous avons simplement tenté de raconter les émotions de l'aventure. Mais au lieu de suivre Claudius dans l’horizontalité du paysage, nous convions le lecteur à s’attarder parfois pour creuser dans sa  verticalité historique.

   C'est comme un jeu vertigineux dans la géologie des mémoires où dorment, depuis des siècles, des couches superposées de souvenirs enfouis. Bientôt, les siècles se mélangent et le temps n’existe plus. La convergence de ces deux regards, l’horizontal et le vertical, donne à l’album une force imprévue. On apprend beaucoup, que l’on croyait savoir. .

 

Éditions serpenoise. Epuisé

 

moselle phototext

Cet album de photos signées Claudius Thiriet parut certes en 1990 à la demande du Conseil géneral, mais fut publié à des kilomètres de nos frontières, aux éditions Siloë. Le texte qui l’accompagnait n’avait alors aucune prétention historique, encore moins de méchanceté, mais traduisait de façon moqueuse, et sans doute inconsciente, le regard classique à l'époque d’un Français de l’intérieur débarqué en Moselle, un pays si bizarre... (Ci-contre, un extrait).

Il faut vivre longtemps avec les gens d'ici pour mesurer à quel point cet humour systématique à leur propos était injuste, prétentieux et déplacé. Problème humain, sujet complexe, population douchée par les guerres, histoire ignorée., savoir vivre...