Saint Sigisbert et Saint Glinglin

 

Saint Sigisbert 1 2

Alors qu’elle fut élue trois fois la plus belle de France, la gare de Metz a perdu, on le sait, tout espoir de devenir, en septembre, le monument préféré des Français. Au concours de France 3, la Place Stanislas l’a doublée.

Les Messins doivent se calmer. Les Nancéiens n’y sont pour rien. Très fiers d’être choisis, ils ont même vécu un conte de Noël assez rare en été. Emus par un fait-divers imprévisible, ils ont spontanément répondu par un geste chevaleresque, un moment lorrain quasiment magique. S’il s’était agi d’une entourloupe, Metz aurait vite réagi.

Souvenez-vous, c’était dans le journal : un lycéen parisien saute dans le train aux aurores pour passer le bac à Reims dans la matinée… Il relit fiévreusement son programme, la dernière chose à faire quand on bachote. Il frôle sans les voir les vignes de Champagne, et se retrouve en gare de Nancy, totalement perdu dans sa bulle.

La mémoire tourbillonnante, il implore la providence, ignorant que le protecteur de la ville, un certain Sigisbert, ne peut présentement alerter Saint-Pierre vu que son portable est en panne.

Même un Saint patron peut être cocufié par un chef de gare. Comprenant le désarroi du candidat, la SNCF lui offrit en effet un bon de taxi de 450 euros pour tenter de rattraper son retard. Le premier chauffeur disponible, Boudriss Ben Abba, fut touché au cœur lui aussi et démarra fissa. Il tenta de passer par Bar-le-Duc en espérant éviter les contrôles mais les gendarmes l’arrêtèrent pour excès de vitesse…

Miracle. La compassion ramollissant parfois les casques, la maréchaussée passa l’éponge. Bien mieux, toute sirènes à bloc, elle entreprit à chaud d’escorter le taxi jusqu’à Reims, à l’allure qu’on permet aux ministres… Les motos débouchèrent à temps.

Voilà qui fait plaisir à lire. C’est beau comme un arc en ciel après l’orage. Sentir que le monde est gentil alors que depuis quelques mois, la presse nous abreuve de récits qui bousculent… Prenez le cas de ce Polonais mal élevé, arrêté pour vol à Nancy alors qu’il se carapatait vers les Carpates. Il répondit de façon si personnelle à l’avocate qui voulait lui faire honte qu’elle sait depuis comment on traduit flatulence à Varsovie.

Plus pénible encore à comprendre est la résistance aux vaccins. Une minorité de fiers Gaulois que, pour ne pas les provoquer, on fait semblant de croire sincères, continue sa danse des canards. Pensez donc… On voudrait les empêcher de faire la fête… Quelques préfets parlaient déjà de guérir ces têtes de mule en échange d’un gros week-end à Disneyland. Et puis quoi encore ? On bousculerait leur liberté, soit, mais partout des gens meurent, qui pensaient comme eux.

Des médecins prenaient ces irréductibles à partie, en évitant de les vexer : « Ce n’est pas le virus qui se promène mais vous, si vous l’avez. » N’empêche qu’à Metz, ils étaient récemment des milliers à leur rire au nez, à parler de dictature et à se prendre pour des croisés.

« Elle a bon dos, la dictature » leur avait illico répondu Joseph Agostini, un psychiatre hors de lui. « La vraie pandémie, c’est votre obstination orgueilleuse. »

Faisons l’effort intellectuel de ne pas confondre ces entêtés avec le reliquat des obsédés du complot, dont le nombril est bourré de haine comme l’escargot de beurre à l’ail. A Nancy deux cents constipés de la liberté n’avaient trouvé, pour décompresser, qu’une corde à mettre au cou de l’effigie du pompier de service. Ces preux chevaliers que le moi boursoufle affichent un genre d’humour qui fait peur.

Du coup, le vice président de Metz métropole s’était senti obligé de lancer une bonne poignée de poivre dans la potée universitaire qui se mijotait dans les arrière cours. Il refuse la fusion complète des deux villes car elle lui fait penser à la recette du pâté d’alouette : un cheval, une alouette et ainsi de suite.

En attendant la Saint Glinglin pour laver un jour l’échec d’un monument européen que cet énervé de Barrès comparait à un pâté de viande, le maire de Metz a vite inauguré une plaque à la gare, avec l’air de dire qu’on ne l’aura pas deux fois.

Aucun sondage n’a par ailleurs osé prévoir qu’en septembre, la plus belle place de France puisse devancer au sprint quatorze concurrents triés dans l’hexagone. L’ennui, c’est qu’en cas d’échec, les Nancéiens vont penser que les Messins s’en sont réjouis.

Le plus drôle dans ce bouquet de chicayas lorraines, c‘est qu’on prévoit d’installer un local poubelle à Metz, à la place de la Trésorerie. Comme si l’argent n’avait pas d’odeur.

Pour ne pas trop dramatiser le chantier qui s’annonce, mieux vaut dorénavant avoir un drone au bout des pouces. D’en haut, c’est plus clair. Bousculée par les manières américaines, l’info quotidienne est devenue piégeuse. La brutalité des symboles paralyse l’expression des sentiments et ridiculise la démocratie. Elle ralentit nos prises de conscience alors que l’océan continue de grignoter le bas des falaises, le feu rougit nos horizons et la connerie finit le travail.

Par chance et besoin d’air frais, je viens de revoir, tourné dans un pays d’Asie par Nicolas Hulot, un film vieux de vingt ans, où l’on voit des murènes aux anges se faire nettoyer les dents par des crevettes… Et un autre sur Arte, réalisé en 2019 à Bornéo, dans lequel une bruyante fratrie d’orphelins orangs terrorisés se jette dans les bras d’une petite armée de sauveteurs attendris.

La terre n’est pas méchante mais la nature a ses lois. Notre amie Yvette Illy s’en souvient, j’en suis sûr. Avec pudeur, elle évoquait récemment la vie quotidienne de Plappeville dans les années 1950… Un monde sans portable mais resté sensible à la poésie des objets, à la chaleur des animaux familiers ou aux bruits familiers des maisons.

Le gratter pointu du pique-feu, l’humilité du seau à charbon, le rinçage des potins au lavoir, le moulin à café qui embaume, le moule à gaufres au manche enfariné, les trois poils dressés du chien qui dort d’un œil et les briques qu’on sort du fourneau avant d’aller au lit… Le silence et la paix, quoi !

 

JG. août 2021